Vers le retour du nomadisme ?

Dans la vie, il y a deux types de personnes.

Ceux qui aiment bien leurs habitudes. Vous en connaissez n’est-ce pas ? Vous les retrouvez tous les vendredis soir au Black Sheep, le pub près du bureau. Ils sont experts d’une spécialité, que ce soit du jeu vidéo League of Legends auquel ils jouent depuis des années ou de la bière belge trappiste dont ils connaissent toutes les subtilités. Leur plaisir est dans le perfectionnement. Vous les trouverez souvent en couple (à moins qu’ils ne se soient installés dans une routine de célibataire et ne cherchent même pas à rencontrer qui que ce soit… eh oui j’en connais pas mal !).

Ces personnes, vous voulez vraiment les embaucher dans votre entreprise : ils deviendront les meilleurs dans leur domaine. Et comme ils seront très heureux dans leur élément, leur ville (ils auront d’ailleurs probablement déjà acheté la villa de leurs rêves, ou du moins leur propre appartement qu’ils auront personnalisé), vous avez des chances de pouvoir garder longtemps leurs compétences.

Et il y a ceux qui sont animés par la soif de découverte. Vous les trouverez souvent en voyage, ou dans des nouveaux restos de leur ville, à essayer de nouvelles activités sportives, à cocher des cases de bucket list, à inventer leurs propres recettes de cuisine (lassé de l’éternel gratin), ou, pour les enfants, à passer outre la notice de leurs Lego pour construire tout autre chose.

Ces personnes, vous voulez aussi les embaucher dans votre entreprise : ils feront preuve d’innovation, ils remettront en cause les processus répétitifs qui les ennuient, ce qui sera un facteur d’amélioration de la productivité. Mais ils risquent fort d’avoir fait de la tour de la ville en quelques années, d’autant plus fortement si votre entreprise est isolée en périphérie, plutôt qu’au milieu d’un écosystème de petits restos, cafés, boutiques, de quoi alimenter leurs yeux insatiables. Ils auront envie d’aller explorer la suite. Ils se reconnaissent dans la citation de Saint-Augustin : « Le monde est un livre, et ceux qui ne voyagent pas n’en lisent qu’une page.« . Seraient-ce des nomades dans l’âme ?

En réalité, nous avons tous un peu sédentaires perfectionnistes et curieux dilettantes, à différents stades de notre vie. Pourtant, notre société considère le mode de vie sédentaire comme la norme.

Peut-on conjuguer travail et nomadisme ?

Si le travail salarié, tel qu’il est majoritaire en France, fait la part belle au premier groupe, la maturation d’Internet a ouvert une brèche permettant aux seconds d’adopter des modes de vie de bourlingueurs tout en s’assurant un revenu. Qu’on les appelle nomades numériques (digital nomads) ou location-independents workers, il est facile de les trouver désormais, derrière leur ordinateur portable, dans les cafés devenus de vrais bureaux d’un jour, ou dans des bureaux partagés (coworking spaces). Ils développent du code, enseignent une langue par Skype, écrivent des articles à des fins publicitaires, ou pour quelques débrouillards, vivent de leur renommée de voyageurs reporters via leur blog, leurs vidéos ou leurs photos Instagram. Ils stockent leurs objets dans des boxes, domicilient leur activité en ligne, par exemple avec des organismes comme Ubidoca, le Courrier du voyageur ou encore le programme e-residency estonien. Ils se déplacent en avion low-cost, ou bien parcourent des pays à leur rythme de slow-travelers.

The Hub coworking space

The Hub Islington coworking space

Ainsi, quelques nomades passent désormais, tout au long de l’année, d’auberge en location Airbnb. Même pas de bail de plusieurs mois.

La popularité des services de location entre particuliers a fait l’actualité, quand des villes comme Paris ou Barcelone ont réglementé pour réduire drastiquement leur facilité. L’argument : cela fait fuir les populations locales, remplacées par des hordes de touristes. Ainsi, 2,7% du parc immobilier de Paris serait sur le marché de la location de courte durée, selon Le Monde.

Prenons un peu de recul : est-ce vraiment un mal ? On parle bien sûr de nuisances au voisinage, quand des touristes indélicats vont faire la fête toute la nuit pendant la semaine, alors que leurs voisins se lèvent tôt, ou vont négliger les parties communes. D’autre part, les différences de pouvoir d’achat risquent de faire monter les prix non seulement de l’immobilier mais des services locaux. Imaginons que les débordements se règlent à terme par une meilleur éducation au savoir-vivre. Imaginons qu’à long-terme le pouvoir d’achat des différentes régions mondiales converge (adieu les délocalisations…). Alors, cela ne serait pas choquant que 3% ou même 30% du parc immobilier soit ouvert à la location de courte durée. Remettons le nomadisme au goût du jour. Quel américain n’a pas rêvé d’habiter à Paris ? Et le parisien qui met en location son appartement a l’opportunité d’aller vivre à New York, à Tbilisi ou je ne sais où… Il reste que l’enquête du Monde montre une concentration de plusieurs appartements dans les mains d’acteurs spéculant sur cette manne. Sur ce point, il est normal que les pouvoirs publics régulent le marché pour éviter une dérive capitaliste et rester dans l’esprit de l’échange d’appartement.

Bien sûr, le parisien salarié qui travaille à la Défense a du mal à bouger : il peut voyager pendant ses 5 semaines de congé par an au maximum, ou lors de déplacements professionnels. Et même s’il est indépendant, commerçant ou freelance, il y a des chances qu’il doivent s’occuper de son magasin ou rencontrer ses clients locaux.

Je vois deux cas de figure : soit votre travail est lié à un endroit, soit il peut être « dématérialisé ». Dans le premier cas, on pourrait imaginer un système de rotation, d’échange de poste : si vous êtes vendeur à Auchan à Paris, vous pourriez très bien effectuer 3 mois chez Wallmart à New York, et 3 mois chez Tesco Lotus en Thaïlande. A condition d’apprendre la langue un minimum, bien sûr :). Pour avoir déjà effectué des missions au sein du groupe qui m’employait, d’une semaine jusqu’à 6 mois, dans des pays étrangers, je suis convaincu que la confrontation des expériences, et des cultures, est bénéfique pour le travailleur, pour l’entreprise d’origine (qui bénéficiera d’une regard nouveau à son retour). et l’entreprise d’accueil.

Dans le cas du travail de bureau, les outils basés sur Internet continuent à se développer, et plus on ira vers la télé-présence, plus le travail collaboratif fera fi de la localisation.

Vous souhaitez trouver un emploi nomade ?

Des sites web spécialisés commencent à apparaître :
www.kicklox.com/
remoteworkers.club/
flexpat.co/
www.amedee.co/les-7-plateformes-pour-travailler-dou-lon-veut/
weworkremotely.com/
remotive.io/find-a-job/
remoteok.io/
angel.co/job-collections/remote
remote.co/remotejobs/
www.workingnomads.co/jobs
www.remotejobtreasure.com

 

Ce n’est pas complètement nouveau…

Sioux_tipisAprès tout, le nomadisme ne fut-il pas antérieur à la sédentarité ? Nos ancêtres de la préhistoire pratiquaient la chasse et la cueillette, et se déplaçaient d’un territoire à l’autre au gré de l’abondance du gibier et des saisons. Ce n’est que l’apparition de l’agriculture qui figea les hommes sur un territoire, créa la revendication de la propriété, et propulsa la famille immuable, basée sur le couple comme modèle social dominant.

On dit que la notion de propriété n’a plus la côté dans la génération des millenials : pourquoi bloquer des sommes considérables pour posséder un objet, quand c’est son usage qui nous intéresse. Les années de crise économique ont peut-être tué dans l’oeuf les illusions et ambitions matérialistes des jeunes générations. Cela renvoie à des questions philosophiques sur les motivations de la vie sociale : est-ce que nous courrons après la sécurité, le statut, la richesse ? Devenir le plus riche du cimetière, comme dit un ami ? Ne serait-ce pas plutôt notre collection de souvenirs percutants, voire même la connaissance (et la sagesse), le bien le plus précieux que nous voulons accumuler ? Ou encore, l’appartenance à une tribu, la renommée, sont-elles les principaux marqueurs de succès ?

Par ailleurs, les hommes préhistoriques étaient bien humbles face aux éléments. Nos sociétés modernes ont forgé l’illusion que nous pouvons maîtriser la nature. Et pourtant, les phénomènes climatiques extrêmes, comme l’ouragan Irma, nous rappellent qu’elle st plus forte que nous. Nos maisons en dur peuvent être balayées par une tornade, un séisme ou englouties par un tsunami. A nous de nous adapter aux changements climatiques. Si la Russie n’est peut-être pas connue comme un bon élève de la lutte contre le réchauffement, c’est peut-être parce qu’elle voit les opportunités que cela représente pour elle : la Sibérie et son permafrost, ces immenses terres gelées où rien ne pousse, sont en passe de se transformer. ice-2062433_640Le désert froid laisse place à de nouvelles terres habitables. En 2017, le gouvernement russe a octroyé gratuitement un hectare de terre à chaque citoyen russe qui se lancerait dans son exploitation. Donc, si des îles basses et des territoires surchauffés seront les perdants de la transformation du climat, il y aura aussi des gagnants. La roue tourne.

La clef de la résilience fasse aux éléments, c’est l’adaptation. Se déplacer pour échapper aux terres inhabitables, et profiter des endroits les plus hospitaliers, n’est-ce pas de l’adaptation ?

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